L’assise, partir en pèlerinage autrement

Assise et pèlerinage, des pratiques sœurs. En tant que pèlerins, nous connaissons bien la deuxième… et nous en sommes tous plus ou moins accros! Malheureusement, il est difficile de partir aussi souvent qu’on l’aimerait sur les Chemins.
Cela dit, et si Compostelle n’était pas si loin qu’on le pense?

Car, qu’est-ce qu’un pèlerinage? Un voyage, un déplacement vers un lieu porteur de sens dans une attitude de dévouement… Mais qui dit que ce mouvement doit être physique?
Imaginez, si vous pouviez « aller à Saint Jacques » à tout moment. Si vous pouviez retrouver les Chemin aussitôt qu’il vous manque. Élucubrations? Mais non! Tout ce qu’il vous faut faire, c’est vous asseoir. Et cela suffit… ou presque.

On en discute? C’est donc parti pour une petite réflexion sur les dimensions spirituelle du pèlerinage et de l’assise, ainsi que de leurs pratiques respectives 🙂


Cet article a commencé sur les réseaux sociaux, avec une photo-citation parlant de pèlerinage. L’image était belle, la citation encore plus!
Elle m’a instantanément parlé et a trouvé résonance dans ma propre vision du Chemin. Elle parlait de ce qu’est le pèlerinage dans son essence, une pratique spirituelle d’une grande profondeur… Tout cela contenu dans une simple phrase, d’une élégance poétique:

J’ai senti le besoin d’un grand pèlerinage, alors je me suis assis et immobile pendant trois jours ~ Hafez

De la Sagesse sur les réseaux sociaux! 🙏☺️

Sauf que… une envie de pèlerinage qui pousse quelqu’un à s’asseoir? Réaction immédiate d’un lecteur assidu:
« 🤔🤔 »
Et oui, a priori, il a raison! D’autant plus dans le contexte de Compostelle, où l’objectif de tout départ est en principe d’arriver à Santiago.

Si on définit le pèlerinage comme un déplacement physique, cesser tout mouvement n’a aucun sens

La pleine dimension d’un pèlerinage

Pour donner du sens à « l’absurde », il suffit de redonner au pèlerinage sa dimension spirituelle.

Notre citation, quand elle est complète, clarifie d’ailleurs cette perspective. Elle donne alors ceci:
J’ai senti le besoin d’un grand pèlerinage, alors je me suis tenu immobile pendant trois jours… et Dieu est venu à moi
Dit comme ça, impossible de louper le fait qu’on évoque une activité spirituelle!
(Psssst! Si le mot « Dieu » vous pique les yeux, oubliez-le et allez au-delà de lui, vers « cela » qu’il représente!)

Ce qui fait un pèlerinage, ce n’est pas le fait d’aller physiquement de A à B. L’éternel débat « touriste-randonneur-pèlerin » le montre bien! Tous se déplacent sur le même itinéraire. Mais tous ne se sentent pas « pèlerins » ou ne sont pas perçus comme « pèlerins » par leur entourage.
Il se passe donc « quelque chose » d’impalpable quand on va à Compostelle, tout le monde le ressent! Une bonne piste pour saisir le plein sens de notre citation et comprendre le lien entre pèlerinage et assise.

Pérégriner, bien plus que simplement marcher jusqu’à Compostelle
Marion, Santiago in love ~ CC BY-NC-SA

Un pèlerinage est une pratique fondamentalement spirituelle. Et parmi toutes celles-ci, il reflète tout particulièrement bien le cheminement intérieur qui se fait lors d’une démarche spirituelle.
En effet, si le pèlerinage ne se résume pas à nous faire aller physiquement de A à B, il s’agit bien d’un mouvement. Celui de notre âme vers « quelque chose ».
Les traditions religieuses s’accordent là-dessus: s’ouvrir intérieurement, aller peu à peu vers « cela » et le vivre, c’est toute la démarche d’un pèlerinage.
C’est cet objectif intérieur qui donne un sens à l’acte du pèlerinage, une nouvelle profondeur.

Compostelle ne fait pas exception.
Autrefois, on se rendait à Compostelle pour saint Jacques, pas pour son « Camino » (qui n’existait pas à l’époque). La religion catholique, ses dogmes et ses traditions étaient « le seul » moyen de l’époque de vivre un cheminement spirituel. Les reliques étaient donc l’objectif unique du pèlerinage à Santiago, car la relation des pèlerins à « cela » passait par l’intermédiaire de la religion et de l’apôtre. (*)
Aujourd’hui, on part de plus en plus pour des « raisons spirituelles » et de moins en moins pour des « raisons religieuses ». Ces raisons ne sont souvent pas très définie par les pèlerins, mais ils en sentent l’importance et la profondeur. L’expérience du Chemin est devenue plus importante que de visiter l’apôtre: les pèlerins court-circuitent la religion et saint Jacques pour vivre « cela » de manière plus directe lors de leur pèlerinage.
(*) Oui, je fais volontairement des raccourcis historiques ici, mais je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire 😉

Ainsi, avancer sur la terre nous aide à avancer intérieurement.
Aller à Compostelle, c’est s’offrir le temps de ralentir pour être pleinement présent et plonger en soi. De cesser d’être accaparé par les stimuli et les obligations de la vie quotidienne. C’est donner l’opportunité au silence et à des sentiers paisibles de nous aider à être là, vraiment et simplement, et de nous faire (re)découvrir notre vie intérieure. D’en apercevoir ou d’en expérimenter la densité d’Être. Et puis, d’aller au-delà de notre Soi et de ressentir une connexion qui dépasse nos corps et nos esprits fatigués par l’effort.
Chaque pas nous amène vers une plus grande ouverture, une plus grande disponibilité à être pleinement présent se laisser toucher par « cela ».

Cela peut prendre du temps bien sûr, mais pour quelques-uns, le pèlerinage devient une opportunité à se laisser aller à cette invitation et faire l’expérience de cette Grâce.

L’assise

Jusque là, je n’ai parlé que de pèlerinage car comme je le disais plus tôt, l’expérience de Compostelle est une bonne base pour saisir notre citation. Et par extension, pour saisir ce qu’est l’assise et sa pratique.
S’en aller vers « cela » et le vivre est donc tout le sens d’une pratique spirituelle. Un pèlerinage est une belle manière de travailler cette relation à l’intangible, le Chemin en témoigne. Hé bien, l’assise en est une autre!

Assise et méditation à Finisterre
Photo: Viottins

On peut faire le lien entre cette pratique de l’assise et celle de la méditation. C’est la même chose!
Largement popularisée ces dernières décennies, la méditation est aujourd’hui assimilée à des traditions orientales récemment importées. Elle s’est également défaite de sa dimension spirituelle pour devenir un outil « laïque » de relaxation ou de développement personnel.
Pourtant, la méditation est une pratique qu’on retrouve en Occident dès l’Antiquité et reste une pratique fondamentalement spirituelle. C’est dans cette perspective que je l’entends ici!

Bien sûr, il ne s’agit pas simplement de s’assoir et d’attendre que « cela » nous tombe dessus! Souvenez-vous, le pèlerinage est essentiellement un mouvement intérieur tourné vers « cela ». De la même manière, la pratique de l’assise est donc de travailler à cette quête, sans se déplacer physiquement. C’est faire tout un cheminement de Compostelle, sans avancer d’un millimètre.

Concrètement, la pratique de l’assise est vraiment similaire à celle du pèlerinage.
S’assoir, c’est s’offrir le temps de ralentir pour être pleinement présent et se plonger en soi. De cesser d’être accaparé par les stimuli et les obligations de la vie quotidienne. C’est donner l’opportunité au silence de nous aider à être là, vraiment et simplement, et de nous faire (re)découvrir notre vie intérieure. D’en apercevoir ou d’en expérimenter la densité d’Être. Et puis, d’aller au-delà de notre Soi et de ressentir une connexion avec « Quelque chose » qui va bien au-delà de nous-même.
L’assise nous amène vers une plus grande ouverture, une plus grande disponibilité à se laisser toucher par « cela ». Et pour quelques-uns, à se laisser aller à cette invitation et faire l’expérience de cette Grâce

Cela vous rappelle quelque chose? Normal, c’est une copie quasi conforme de ma description du pèlerinage, juste un peu plus haut! 😉
Pèlerinage et assise sont en effet similaires, à cela près que le pèlerinage « force » le pèlerin à l’intériorité alors que l’assise implique une démarche plus « volontaire » et plus consciente de sa pratique.
Autrement dit, si vous pouvez « devenir pèlerin » malgré vous en partant à Compostelle, vous avez peu de chance de devenir méditant par hasard dans votre vie quotidienne…

Si on peut voir cet effort à produire comme un inconvénient, c’est en fait un véritable avantage! Hé oui! Avec un minimum de pratique, il vous suffit en effet de choisir de méditer et hop! Vous voilà en plein pèlerinage, à vivre l’Esprit du Chemin, vivre « cela », instantanément et sans bouger d’un pouce.
Notez bien, « avec un minimum de pratique« … Il faut quelques jours (semaines!) à votre corps pour s’adapter à l’exercice physique que représente un pèlerinage. Pareillement, il faudra quelque temps à votre esprit pour s’adapter à l’exercice mental et spirituel que représente l’assise.

Vous pouvez simplement commencer par créer un moment calme dans votre quotidien, pour vous retrouver et vous reconnecter à votre expérience du Chemin, toujours vivante en vous.
Plutôt que de revoir vos souvenirs comme un film auquel vous assistez, cherchez à revivre et ressentir de nouveau ce que vous avez vécu. Mettez de côté ce que vous avez « fait » pour retrouver ce que vous « étiez ». Souvenez-vous de ce que le Chemin vous à fait Être (joie, paix, fraternité, enthousiasme, pleine présence, émerveillement, etc.) puis travaillez à « Être ces états », ici et maintenant.
Peu à peu, vous arriverez à « Être ces états » plus facilement et à vous y maintenir de plus en plus longtemps. Et éventuellement, à vous ouvrir suffisamment pour vous laisser toucher par « Cela ».

Cela peut sembler facile a priori mais en pratique, passer du souvenir d’un état à l’expérience de cet état n’est en fait pas si simple… Il s’agit en effet de quitter le mental pour s’installer dans le cœur. Et il est encore plus délicat se maintenir dans cet état quand on est « hors-contexte » (c’est à dire, quand on n’est pas en Chemin)!
Partir à Compostelle facilite cette transition et aide à vivre « à cœur ouvert » le temps d’un Chemin, mais c’est une qualité d’Être à laquelle nous ne sommes pas habitués au quotidien…
La pratique de l’assise permet de s’y exercer et nous aide peu à peu à s’y connecter et à l’incarner, même sans être en Chemin.

En connexion avec le Chemin, partout et à tout moment
Marion, Santiago in Love ~ CC BY-NC-SA

Petite note avant de finir cette partie… Je parle d’assise car c’est la manière la plus courante de pratiquer la méditation et peut-être aussi la plus simple pour s’y initier. Il est cependant tout à fait possible de s’y essayer autrement. Par exemple en marchant, en poirotant dans une file d’attente, en jardinant ou encore en faisant le ménage.
L’important, surtout au début, est de pouvoir être au calme et l’esprit libre de se consacrer à cet exercice.

Assise et pèlerinage, des pratiques complémentaires

Nous voilà finalement à l’opposé de notre réflexion initiale… « S’asseoir pour pérégriner » ne paraît plus si absurde! Bien sûr, l’idée n’est pas de vendre vos sac et chaussures pour vous consacrer uniquement à la méditation 😉
Il s’agit plutôt d’une invitation pratiquer l’assise tout en continuant de cheminer.

Cela apporterait une nouvelle dimension à votre expérience alors que vous êtes en Chemin. Une plus grande présence à l’instant et la possibilité de vous imprégner plus profondément de cette qualité d’Être que l’on ressent si fortement sur Compostelle.
Les effets positifs de l’assise sont encore plus évidents une fois rentré du pèlerinage! Tout pèlerin a connu le blues du retour et la nostalgie de son expérience… Être capable de s’y reconnecter à tout moment serait vraiment précieux et vous aiderait sans aucun doute à garder le Chemin vivant en vous!

Assieds-toi et va!

Finissons avec un bel extrait de L’assise et la marche de Jean-Yves Leloup, qui redit de manière simple et poétique de toute notre discussion ☺️

~~~~~

« Assieds-toi et va!« 
Cette parole entendue à l’âge du 19 ans continue 10 ans plus tard à être vive, comme un souffle, elle m’entraîne vers le haut et en avant.
Il m’a fallu un peu de temps pour la comprendre et surtout pour la vivre.
« Assieds-toi », ce n’est pas rester assis.
« Va », ce n’est pas aller quelque part.
« Assieds-toi », c’est être centré
, dans l’aller et l’à-venir de la Vie.
« Va », c’est être à demeure, dans le mouvement même de la Vie qui se donne.

« Assieds-toi »: « Je suis ».
« Va »: « Je serai »
.
L’assise et la marche ne sont-elles pas la participation et le déploiement, en celui qui les pratique, d’une présence réelle de l’être « qui était, qui est, qui vient », comme le dit le livre de l’Apocalypse?
« Chemin faisant », cette parole prenait parfois des accents moins bibliques et davantage baudelairiens: « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille », assieds-toi, entends la Vie, la grande Vie qui marche… Parfois il ne faut plus bouger pour avancer, « ça » marche…
C’est la fidélité quotidienne à cette pratique de l’assise et de la marche qui m’a en effet révélé le sens de mon « passage » sur la terre: « adhérer » à la Vie, à son être, à son devenir: « Je suis/Je serai »…

« Arrivé au somment de la montagne, ne t’arrête pas. »
Est-ce une invitation à monter plus haut ou à redescendre? Les 2 sans doute, car l’assise et la marche est une invitation à intégrer les contraires, non seulement l’immobilité et le mouvement, mais aussi tous les éléments qui constituent notre vie.
Il s’agit donc d’acquérir un certain regard qui ne mélange pas, qui n’oppose pas.
Notre pratique conjointe de l’assise et de la marche devrait conduire vers ce point au-dedans, au-delà, par-delà les contraires qu’on appelle le « centre » ou l' »œil du cœur », d’où naît ce regard, à la fois neuf et éternel.
Une vie qui n’a pas de centre, c’est une vie qui n’a pas de sens. La paix, c’est d’être entièrement là…
Faites quelque chose sans être centré (distrait), faites la même chose en étant centré (attentif) – voyez la différence! L’important, quelle que soit notre pratique, c’est d’être centré.
Une assise sans cœur est une verticale d’ennui.
Une marche sans cœur est une horizontale sans fruit.

Le centre n’est pas un point particulier du corps, mais une ouverture, un espace dans lequel nous accueillons tout ce qui est, avec lucidité, gratitude et compassion. Se tenir là où se tient l’astre, ou l’acte immobile, l’acte pur et premier, selon Aristote, « qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles »… Si ce n’est pas l’Amour, ça lui ressemble…
Assieds-toi, marche, respire « amoureusement » sur la terre, sous le ciel, dans le Souffle… Tout est absurde, tout est grâce.

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Que vos méditation et pèlerinages à venir vous ouvrent le cœur!

Et vous? Percevez-vous une dimension spirituelle à votre Chemin (même si vous n’êtes pas croyant)?
Avez-vous déjà expérimenté une ouverture de conscience et de cœur, ou vécu un moment de Grâce sur Compostelle? Pratiquez-vous la méditation, ou pensez-vous que cela vous aiderait à garder le Chemin vivant en vous, même au quotidien?

Racontez-nous dans les commentaires! 🙂


Hafez: poète, philosophe et mystique soufi persan du XIVe siècle. Toujours vivante de nos jours, son œuvre est surtout connue pour ses poèmes décrivant l’extase spirituelle.

Jean-Yves Leloup: écrivain, philosophe, théologien et prêtre orthodoxe français contemporain. Son enseignement est ancré dans la tradition chrétienne mais ouvert sur une spiritualité qui dépasse toute étiquette religieuse.
En savoir plus: site officiel

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