Vrai pèlerin… ou faux pèlerin?

D’avis de tous les pèlerins d’hier, d’aujourd’hui et de demain, voilà une question qui mérite bien qu’on s’y arrête! Car, évidemment, il y a bien une différence entre le vrai pèlerin et le faux pèlerin.

Pour que chacun puisse les reconnaître, voici tout de suite un portrait du peregrinus veritabilis, ce pèlerin qui mérite notre admiration et notre respect sans limite!

Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence

Le vrai pèlerin…
… est un marcheur
… part de chez lui
… vient de loin
porte ce dont il a besoin
… est simple et sans richesses
… est un dévot
souffre
… est respectueux
… est tolérant

vrai pèlerin compostelle

Le vrai pèlerin est un marcheur

Hé oui, avant tout, le vrai pèlerin marche. Comme il s’inspire de son ancêtre du Moyen-Âge, il ne peut pas décemment faire son pèlerinage avec une diabolique machine à essence. Il va, certes, mais toujours à pied. Il peut éventuellement traîner un âne ou monter à cheval, mais c’est vraiment là la limite du tolérable…

Pieds borne zéro Santiago

Le vrai pèlerin n’est certainement pas un cycliste, quoi qu’en dise l’office des pèlerins. Aller voir messire Jacques en vélo, non mais quelle idée! Étonnant que notre saint ami ne se soit pas encore retourné dans son reliquaire….

Mais pire encore que ces imposteur (oui, mesdames et messieurs, c’est possible!), tous ceux qui se déplacent en scooter, en voiture, en bus, en avion ou en fusée. De cette espèce hérétique frappée de tabou je ne ferais mention plus avant. A moins qu’il ne piquent la place d’un vrai pèlerin dans un gîte sous mon nez, auquel cas je leur intenterais un procès et les soumettrais sans pitié à la question.

 Le vrai pèlerin part de chez lui

Son aventure commence quand il sort de son lit. Un vrai pèlerin glisse son premier casse-croûte dans sa besace dans sa cuisine; il met son manteau, sa pèlerine et son chapeau à bords ronds dans son entrée; il ferme sa porte d’entrée à double tour et jette la clé dans les orties. Un geste qu’il aura d’ailleurs vite fait de regretter quand il s’apercevra qu’il a oublié de prendre la coquille et la crédentiale qu’il avait laissé en évidence à côté de son vide-poche. Ce n’est que lorsqu’il aura cassé un carreau, récupéré ses trésors, appelé le vitrier et offert à ce dernier les 3/4 de son budget de pèlerinage qu’il pourra enfin partir vers Compostelle le cœur libre et léger.

Particularités gênantes à cette règle, les pèlerins qui habitent Padrón, Betanzos, Silleda, San Marcos et bien d’autre localités encore. En un mot, les pèlerins vivant à moins de 100km de Santiago, voire dans le quart Nord-Ouest de l’Espagne. Ils ne pourront devenir de vrais pèlerins qu’à condition de s’éloigner de Compostelle avant d’y retourner car, on le sait bien…

Le vrai pèlerin vient de loin

Preuve en est la corne que les kilomètres ont patiemment épaissie sous ses pieds. Celui dont le pèlerinage commence à la fin ou qui ne marche pas assez ne mérite en effet ni les honneurs ni le respect de la guilde pèlerine! Plus loin le point de départ, plus grande la gloire.

Panneau alsacien Compostelle
Une distance respectable, mais peut mieux faire

Le vrai pèlerin siffle les espagnols partant du Nord-Ouest de la péninsule et il fraternise avec les autres. Il félicite de bon cœur ceux qui partent du début d’un chemin ibérique (Porto, Séville, Valence, Barcelone et Roncevaux Saint-Jean-Pied-de-Port). 

Il admire ceux qui partent des villes-départs-historiques de France (Le Puy, Vézelay, Paris ou Tours, Arles) et glorifie d’autant plus ceux qui partent avant elles. Il exalte les belges-allemands-suisses-autrichiens-italiens qui partent de leur pays; bénit ceux qui partent du reste de l’Europe; canonise ceux qui partent des confins de l’Asie, du Moyen-Orient ou de l’Afrique.

En toute logique, il divinise ceux qui ont dû nager avant de pouvoir marcher.

Si les pèlerins pouvaient venir à pied d’autres galaxies, nul doute qu’ils seraient vénérés par tout vrai pèlerin.

Le vrai pèlerin porte ce dont il a besoin

Que celui qui connaît un tricheur faisant porter son sac le dénonce! Tous ceux qui utilisent les services d’un transporteur de bagages ou pire, qui organisent leur voyage avec une voiture-balais sont forcément des imposteurs.

Sac compostelle
Voici l’exemple du sac d’une fausse pèlerine dont on taira le nom

Sont éventuellement tolérés ceux qui se séparent de leur sac pour une raison de santé qui les placerait entre la vie et la mort s’ils le portaient eux-mêmes. Tolérance bien évidemment soumise à conditions, attribuée après entretien personnalisé et présentation de justificatifs en béton armé. Tous autres (y compris ceux qui échouent à l’examen pré-cité) sera châtié comme il se doit et défait de son titre de véritable pèlerin.

Notons que le poids écrasant d’un sac trop lourd n’est pas un argument recevable car un excès de vanités empilées sur le dos est en lui-même inacceptable. En effet, comme tout le monde devrait le savoir…

Le vrai pèlerin est simple et sans richesses

Par conséquent, il pourrait facilement se passer de sac, car sa fortune se résume aux vêtements qu’il porte sur son dos et à une demie brosse-à-dents. (Cela met d’ailleurs un point final à la question du portage du sac, car rien dans le sac = sac léger = sac portable!)

Le vrai pèlerin est donc pauvre, comme le dit si bien le carnet explicatif de la créantiale:

Le futur [vrai, il va sans dire] pèlerin s’apprêtant à quitter famille et biens, sait qu’il va changer de condition, entrer dans le peuple des démunis. Le rituel [du départ] donne le ton de gravité et de radicalité de cette transformation à l’état de pauper et peregrinus: se déposséder de tout ce qui est possible pour s’en remettre à Dieu.

Besace et bourdon, seuls attributs de celui qui devient pauvre et pèlerin sont remis par le prêtre avant la bénédiction.

Si l’Église elle-même l’affirme, qui est donc le vrai pèlerin pour penser le contraire?

coquille fisterra

Côté pratique, pour le vrai pèlerin, les hôtels confortables ou les gîtes privés, très peu pour lui. Il préfère les gîtes publics ou paroissiaux, ou ceux où le sport consiste à faire entrer le plus de lits superposés possible dans une pièce.
Mieux encore, les hébergements en donativo qui lui permettent de dormir sur un matelas moelleux (et d’être chouchouté) sans verser le moindre centime.
Mieux encore (encore!) un coin de pelouse plat et abrité, qui lui permette de passer la nuit dehors sans se casser le dos ou être trempé.

Quant aux repas, vade retro gueuletons, repas gastronomiques et autres délicatesses. Rien ne vaut le fameux Menu del Peregrino à 6€ 8€ 10€ 12€ (parfois déjà 14 ou 16€!)… A part peut-être un bocadillo un peu sec ou des fruits et des noix empruntées dans le verger à côté du chemin.

Le top du pèlerinage d’un vrai pèlerin est donc, récapitulons, absence de sac, nuit à belle étoile, repas de denrées trouvées en chemin. Rien de mieux ne se fait, bien qu’à vrai dire, cette sous-espèce rare de peregrinus veritabilis est en voie de disparition…

Le vrai pèlerin est un dévot

Sinon, pourquoi ferait-il un pèlerinage? Qu’il soit voué au culte de saint Jacques, pénitent, catholique, chrétien pratiquant, religieux intégriste, mystique extatique, fétichiste des pieds ou adorateur du dieu des Ampoules, le vrai pèlerin va à Compostelle car il est porté par un foi n’ayant aucune limite. Il croit en une réalité spirituelle et se retrouve à marcher dans la poussière suite à un appel mystérieux.

Il visite toutes les églises en forçant les porte des celles qui sont verrouillées, fait le sacrifice de ses pieds sur l’autel de la coquille et dort exclusivement dans des gîtes emprunts d’un air sacré. On le reconnaît aux étoiles dans ses yeux, à la croix qu’il porte sur son dos, à l’absence de chaussures à ses pieds et à son dévouement sans borne à la conversion des faux pèlerins égarés sur le chemin à ses croyances. Le vrai pèlerin assume sa foi et n’a pas peur de la partager.

Le vrai pèlerin souffre

L’origine de cette tradition pèlerine est incertaine, peut-être héritée des pénitents cités juste avant… Quoi qu’il en soit, le vrai pèlerin a souffert, souffre ou va souffrir.

On le reconnaît à sa démarche de grabataire, à ses pieds enrubannés de pansements et à son air prostré à l’étape. Le vrai pèlerin gagne ses galons au nombre d’ampoules auxquelles il peut prétendre, celles en sang comptant double. Les plus méritants et dévoués gagnent un T-shirt de réconfort à l’arrivée, portant cet adage véridique bien connu: « Sans douleur, pas de gloire ».

pieds pansements
Un bel effort de ces pèlerins anonymes, quoique ces pieds soient encore un peu trop rosés pour être admirés

Le vrai pèlerin a ainsi toute une gamme de tourments à sa disposition pour varier les plaisirs. Tendinites, ampoules, entorses, fractures de fatigue mais aussi piqûres de punaises, morsures de chiens, attaques de tics ou encore émotions exacerbées, découragement, auto-dévalorisation… La liste est longue et non-exhaustive.

Le vrai pèlerin est, avouons-le, un peu sado-maso sur les bords. Pour quelle autre raison passerait-il ses vacances à crapahuter dans la poussière par tous les temps au lieu de partir en avion se la couler douce en maillot de bain au bord de l’eau, avec les doigts de pieds intègres et en éventails?

Le vrai pèlerin est respectueux

C’est un champion de la diversité. Hommes, femmes ou enfants; black-blanc-beur ou autres couleurs; croyances spirituelles ou habitudes culturelles… il aime tout le monde et le montre. Plein d’attention pour chacun, il a toujours un mot gentil pour les humains et une carotte dans son sac pour les ânes. Il méprise cependant les ronfleurs, les individus qui jouent du sachet en plastique à 4h du matin dans un dortoir plein comme un œuf et leurs collègues qui utilisent une trompette pour se réveiller 1/2h plus tard.

S’il n’en pense pas moins, le vrai pèlerin garde ses insultes les plus originales entre ses dents quand passent ou dépassent les cyclistes, les hérétiques, les tricheurs, les sans-sacs, les touristes, les épicuriens, les riches, les païens et les insolents qui vont sans douleurs.

Il fait également attention à son environnement. Pas de papiers, de mouchoirs, de plastiques, d’excréments ou de PQ au bord des routes: le vrai pèlerin les délaisse un peu plus loin ou les enterre, tandis que les plus intégristes trimbalent leurs déchets ou se retiennent jusqu’à la prochaine étape.

Enfin, le vrai pèlerin est un maître de tolérance

Ne supporte-t-il pas bravement tous les faux pèlerins qui parcourent impunément les chemins?


Note aux vrais pèlerins qui se sont reconnus et qui grincent des dents, ou aux autres pèlerins qui se trouvent outrés de ne pas correspondre à cette description du peregrinus veritabilis. Bien qu’il n’y ait pas de fumée sans feu (de nombreux morceaux de ce portrait ont été lus et entendus dans les communautés pèlerines!)…

Ceci est un portrait caricatural et humoristique: merci de le prendre comme tel !

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5 réflexions sur “Vrai pèlerin… ou faux pèlerin?”

  1. Chère Marion, dès les premières lignes de ton pamphlet, les piques ont percées ma minuscule carapace 🙁 Donc sans marche à pied point de salut sur le Chemin 🙂 Mille excuses d’user mon engin à 2 roues pour rejoindre mes amie(e)s du Chemin J’essaie de me faire petit autant que faire se peut et ma sonnette jaune ornée d’une belle lune et d’une étoile ne retentit que peu souvent pour ne pas écorcher les z’oreilles des marcheurs. Mes 2 roues m’ont permis de connaitre les plus belles joies de ma vie ces dernières années, 2 roues = la faute à des genoux récalcitrants à la marche qui ne supportent pas plus de 10 kms en 1 journée sans récidiver le lendemain sinon carton ROUGE.
    Et comme j’adore le Chemin je récidive régulièrement, 2005,2006,2007,2008 sur les Voies Françaises puis 2015, 2016, 2018 jusqu’à Santiago et une tentative manquée en 2019. Bref je vais devenir le parasite à 2 roues 🙂 🙂 🙂 mais un parasite gentil, à l’écoute et si possible un Pèlerin. Et je vais certainement compléter ma tentative 2019 en continuant depuis Béziers jusqu’à ??
    Je vois que tes propos datent de qq années et peut être qu’aujourd’hui faisant preuve d’une grande mansuétude tu me pardonneras « mes écarts en 2 roues »
    Bien à toi Chère Marion très fraternellement 🙂
    Alain

    1. Cher Alain,
      BIEN SÛR que tu peux cheminer à 2 roues, pas besoin de te faire pardonner! 🙂
      As-tu vu ma petite note à la fin du texte? 😉 Humour humour… bien que basé sur ce qu’on entend pourtant vraiment en Chemin et entre les pèlerins!
      Bien à toi aussi!

    1. En vélo??? 😮 Sacrebleu, qu’on pendouille cette machine sacrilège par les roues au soleil, sans huile ni cambouis! Et que son propriétaire aille à Compostelle en portant la bête sur son dos pour se repentir!
      😉
      Bon Chemin Yvan, profite sans écouter les râleurs! 😀 (sans les écraser non plus! :p )
      Donne-nous des nouvelles!

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